Les musiques visuelles de Rainer Kohlberger, entre bruit et lumière

Visuellement les films et les installations de Rainer Kohlberger peuvent être compris comme de la lumière pure créée par des algorithmes. Fasciné depuis son plus jeune âge par le bruit, ce n’est pas étonnant que l’artiste digital et designer australien en fasse le cœur de son travail. Inspiré par la théorie des champs quantiques, son et lumière représentent paradoxalement toute la matérialité du monde mais aussi un grand “rien”, un vide, un peu comme la présence d’un fantôme…

Comment qualifiez-vous vos films et installations ?
Mon travail se situe à l’intersection du cinéma, de la musique et des arts visuels. Je réfléchis de manière très musicale quand il s’agit de filmer. Et j’ai toujours un élément visuel en tête quand je joue de la musique. La manière dont un film est monté est très proche des méthodes de composition musicale. Vous pouvez donc appeler mes films des “musiques visuelles” si vous le souhaitez. Je crée des sons et des images avec les mêmes concepts de composition que ceux utilisés pour la musique de drone, de bruit et de lumières vacillantes. Mes œuvres sont présentées au cinéma, en direct sur scène ou dans l’espace d’une galerie. Alors que certaines œuvres doivent être conçues dans un format spatial spécifique, elles peuvent généralement être transformées et affichées dans n’importe lequel de ces espaces. Comme mes images sont souvent très plates, sans aucun objet représenté, l’aspect de la projection peut être modifié par exemple et peut être une variante de mon travail.

Rainer Kohlberger, Never comes tomorrow, 2016 / 2 or 4-channel videoinstallation (Stereo or quadrophonic Sound), 15 minutes loop, variable dimensions

Pourquoi la lumière et le bruit vous fascinent ?
J’ai toujours été obnubilé par le cinéma comme forme d’art de la lumière projetée. Le cinéma, pour moi, commence bien avant que le film ne soit inventé ; je pense à ses prédécesseurs directs comme les lanternes magiques, les stroboscopes et les organes de couleur. Voire même les rassemblements des premiers humains assis autour d’un feu, contemplant, les ombres jouer comme une forme du cinéma.

Quand j’étais enfant, nous avions un vieux téléviseur dans le sous-sol qui n’avait pas de réception. Mais je l’ai quand même allumé. Je regardais le bruit émis et le modulais en tournant ses boutons. Cette fascination pour la lumière et le bruit est donc apparue très tôt, de manière ludique et plus tard dans ma pratique artistique, elle est redevenue importante.

Pour moi, le bruit n’est pas une entité négative. Le bruit représente les perspectives d’avenir nouvelles qui apparaissent dans le monde. Nous pensons apprendre en l’explorant et en le déchiffrant physiquement. Pourtant, le bruit contient toujours quelque chose de magique et de contradictoire. Aucune vie, aucune communication n’est possible sans bruit. Le bruit blanc fascine, comme un infini abstrait et flou le ferait.

Les algorithmes sont au centre de votre pratique artistique. Pourquoi les utilisez-vous ?
L’ordinateur a été mon premier instrument de création. Je n’ai jamais appris à jouer d’un instrument de musique et je n’ai jamais peint non plus. Mais j’ai eu accès à un PC dès le début. J’ai appris à coder à l’école, mais je n’étais pas très bon dans ce domaine.

Plus tard, j’ai découvert des environnements de codage créatifs qui permettaient de travailler avec la vidéo d’une manière totalement nouvelle. Je pouvais programmer visuellement, sans écrire de code. Chaque paramètre modifié peut être vu ou entendu immédiatement. Par conséquent, générer des images numériques devient beaucoup plus intuitif. Comme dans d’autres créations artistiques plus traditionnelles, les heureux hasards et les erreurs sont incorporés dans la processus artistique.

Ce n’est que depuis ces dernières années et l’émergence de l’apprentissage automatique que j’ai recommencé à écrire du code. Ce processus créatif est exactement le contraire de la méthode de programmation visuelle en temps réel. Il faut plusieurs heures pour calculer quelques images avec des réseaux de neurones. C’est comme une boîte noire qui fonctionne pendant que vous dormez la nuit et le matin. Il y a ce moment magique où vous pouvez trouver quelque chose d’intensément intéressant.

Comment avez-vous trouvé le concept derrière “Not even nothing can be free of ghosts” ?
Le principe de base de ce film est le pouls. Ce mouvement constamment vibrant qui vous entraîne dans un drone visuel avec des images vides et une bande sonore se déplaçant continuellement et subtilement vers des fréquences plus hautes et plus basses. Les sens du spectateur ont la possibilité d’entrer dans leurs propres connexions entre l’œil et l’oreille.

“’Not even nothing can be free of ghosts” peut être compris comme une lumière pure, créé à partir de “rien”. Selon la théorie des champs quantiques, tout ce qui est matériel vibre. Le titre “’Not even nothing can be free of ghosts” fait référence au fait que la lumière et la matière entrent en lien ; les images nous touchant au cinéma comme un fantôme le ferait.

À l’époque où cette œuvre est sortie, les traditionnels projecteurs de cinéma avaient disparu, remplacés par des projecteurs numériques alliés à des ordinateurs. “Not even nothing can be free of ghosts” fait également allusion à la nature immatérielle du cinéma numérique par rapport à la matérialité du celluloïd, longtemps utilisé par l’industrie cinématographique pour la production de pellicules.

Rainer Kohlberger, Not even nothing can be free of ghosts, 2016, 11 minutes, Installation et vidéo
Rainer Kohlberger, Not even nothing can be free of ghosts, 2016, 11 minutes, Installation et vidéo
Rainer Kohlberger, Not even nothing can be free of ghosts, 2016, 11 minutes, Installation et vidéo

 

vimeo.com/102756516
Rainer Kohlberger, Moon Blink, 2014 / Video, audio, stroboscope, 10 minutes loop

 

 

Images © Rainer Kohlberger
Son site : kohlberger.net