Les monotypes spirites d’Amélie Vidgrain
Sur les pages d’un carnet, Amélie Vidgrain exprime par le biais de monotypes bleutés son rapport à la vie, auquel se mêle parfois le surnaturel. Formée à l’école Olivier de Serres (ENSAAM Paris) et à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie (Akademia Sztuk Pieknych), cette artiste développe un vif intérêt pour l’infime, pour les traces du temps qui passe, pour les empreintes. De la série Spirits se dégage une pluralité de sources d’inspiration autour du spiritisme agrémentées du rapport singulier de l’artiste aux esprits.
Pouvez-vous nous parler de votre démarche artistique ?
J’aime supposer, dessiner, graver, modeler, édifier, associer, tenter, afin d’exprimer une réalité intime. Je mêle fictions d’événements et faits strictement réels. Je confonds expérience de la vie et réalisation plastique. Céramique ou gravure, j’adopte des techniques variées, des formulations différentes.
Quels sont vos outils/médiums de création ? Quel est votre processus d’élaboration de dessins ?
Le monotype demeure ma pratique usuelle. Injustement mésestimé, ce procédé d’impression sans gravure produit un tirage unique. Une plaque de verre reçoit un fin voile d’encre grasse déposé au rouleau. Deux feuilles de papier sont placées sur ce support encré : la première est vierge ; la seconde porte le projet esquissé. À l’aide de toute sorte d’outils graphiques, le dessin est réalisé. L’encre se dépose sur la première feuille, là où le crayon « chemine ». Le monotype laisse le dessin en liberté et permet d’infinis jeux d’encre. J’aborde différents thèmes : le portrait, mes proches, l’intimité, le temps qui passe… avec quelques préférences marquées pour mon jardin, le végétal, les phénomènes naturels… J’absorbe, prends des photos, compulse différentes sources textuelles ou visuelles. Je me laisse pénétrer par ce que j’observe.
Pourriez-vous nous en dire plus à propos de la monochromie de vos dessins ?
Le bleu est mon noir ! Gustave Coquiot, dans son ouvrage intitulé Renoir rapporte les propos du peintre : « Un matin, l’un de nous manquant de noir, se servit de bleu : l’impressionnisme était né. ».
Comment vous est venue l’envie de dessiner la série Spirit ? Quelle a été votre source d’inspiration ?
Esprit es-tu là ?!… Au XIXe siècle, la bourgeoisie fait tourner les tables et s’adonne au spiritisme. Allan Kardec explique : « la doctrine spirite ou le spiritisme a pour principes les relations du monde matériel avec les Esprits ou êtres du monde invisible. ». Dans les années 1850, aux États-Unis, ont lieu les premières expériences de photographies d’esprits : le photographe William Mumler est cité comme le premier à avoir capturé un esprit sur la plaque photographique. Victor Hugo, en exil sur l’île de Jersey, se livre à d’innombrables séances spirites pour établir un contact avec sa fille Léopoldine disparue tragiquement. Les sources sont diverses, foisonnantes, passionnantes. Elles m’ont largement inspirée… Ainsi, j’ai convoqué esprits, âmes errantes, fantômes, et autres revenants, nimbés d’étrangeté, au clair de lune, sous les pampilles ou à la lumière d’une bougie.
Quel est votre rapport aux esprits, aux disparus ?
Je crois en l’âme ! Il existe une triple acception. De prime abord, l’âme correspond au principe de la vie matérielle organique connaissant un début et une fin. Mais l’âme est aussi le principe de l’intelligence, agent universel dont chaque être absorbe une part. Autrement dit, il y a en chacun plus que la matière. Il en reste quelque chose après la mort. Enfin troisièmement, il n’est pas contradictoire de penser aussi que l’âme est un être moral, distinct, indépendant de la matière, qui conserve son individualité après la mort. Je crois en l’Esprit, tel un souffle, qui habite le vivant comme le non-vivant, l’animé comme l’inanimé, les êtres, les choses, les lieux… Je crois aux hasard et coïncidences, qui parfois n’en sont pas. Je crois au charme du surnaturel, de l’inexpliqué…
Images © Amélie Vidgrain
Site Instagram : @amelievidgrain