Les fiches fantômes de Sophie Calle
À la manière de fiches fantômes remplaçant un volume sorti des rayonnages d’une bibliothèque, Sophie Calle redonne vie aux œuvres des musées empruntées laissant derrière elles des emplacements vides. Alors qu’elle est invitée en 1989 au Musée d’art moderne de la ville de Paris, l’artiste découvre le vide que l’œuvre Nu dans le bain de Pierre Bonnard, prêtée à un autre musée, laisse sur le mur. Souhaitant redonner vie à cette dernière, elle se met à enquêter à son sujet demandant aux visiteurs, gardiens, conservateurs et autres membres du musée de la décrire et même de la dessiner. Ainsi, elle fait exister la toile à travers les souvenirs qui lui sont racontés. De fil en aiguille, les rencontres avec les productions d’artistes absentes ont donné lieu à un projet : s’enquérir de toutes les informations au sujet d’œuvres manquantes auxquelles elle sera confrontée au grès de ses pérégrinations. Commence alors un véritable travail itinérant où transmission et mémoire s’entremêlent.
Les multiples récits qui entourent les œuvres, qu’elles soient prêtées, volées, remplacées ont par la suite été assemblé dans un recueil portant le nom Fantômes publié chez Actes Sud en 2013. L’une des dernières pages du livre particulièrement évocatrice vient questionner la part de visible et d’invisible qui entoure les œuvres qui habitent les musées :
« J’ai demandé à la voyante Maud Kristen ce qu’elle voyait dans ces cadres vides. Des fantômes occupent le cadre, comme si ce vol avait libéré les personnages, leur avait permis de quitter cette représentation figée tout en demeurant dans les lieux. Je les ressens plus présents dans leur absence. » [1]
[1] Sophie Calle, Fantômes, Arles, Actes Sud, 2013, p.167.
© Sophie Calle
Courtesy de l’artiste & Galerie Emmanuel Perrotin — Saint Claude, Paris
© Sophie Calle, Fantômes, Arles, Actes Sud, 2013