Sabine Mirlesse capture les volcans et les terres sismiques
Sabine Mirlesse est une artiste franco-américaine, dont les histoires photographiques, dessinées et sculptées, entrent en résonance avec la terre, la géologie, les rituels et les empreintes. Son amour pour la terre, qu’elle soit sismique ou volcanique, l’a poussé à travailler sur deux projets ; l’étude de 3 volcans italiens et l’ouvrage Pietra di Luce, publié en 2019 aux éditions Quants.
Comment est né votre intérêt presque hypnotique pour la matière minérale, celle qui tremble, se brise, voire explose ?
J’ai passé une grande partie de mon enfance en Californie du Sud, à un moment où, durant les années 90, les tremblements de terre s’enchaînaient. J’ai rapidement pris conscience de la réalité de cette terre qui bouge sous nos pieds, entité vivante qui, spontanément et radicalement, rappelle sa présence, sa résilience et son pouvoir. Grandir sur la faille géologique, à la jonction des plaques tectoniques pacifique et nord-américaine, de San Andreas, pratiquer des exercices de crise sismique à l’école, me promener dans les déserts, les canyons et écouter les récits d’habitants ayant vécu l’éruption volcanique du mont Saint Helens ont participé à dépeindre, dans mon imaginaire, la terre comme un personnage mystérieux. J’ai développé une sensibilité au paysage, à sa composition minérale et à ses histoires.
Pietra di Luce, premier opus de la maison d’édition Quants, “nous invite dans une rêverie géologique, des tréfonds de la terre à l’immensité de la voie lactée et de ses poussières d’étoile”. Comment l’édition a-t-elle servi votre travail photographique ?
La photographie ne fait pas forcément sens quand elle devient un livre, mais Pietra di Luce, si. Ce livre de photographies, mais pas que, m’a été inspiré par la littérature et la narration locale de la Toscane. Pietra di Luce est l’occasion d’amasser et de condenser un grand nombre de travaux aux formats pluriels : des images en couleur, mais aussi en noir et blanc, des sculptures en pierre, des reliefs, des huiles monotypes, des dessins, des photogrammes, des archives, le tout en un seul volume. Une façon d’organiser la recherche et le travail créatif. En tant que livre, Pietra di Luce devient un objet qu’on peut sentir entre ses mains, avec qui passer du temps et voyager de page en page, d’avant en arrière et vice versa.
Après la rêverie géologique, vous consacrez un futur projet (sur lequel vous souhaitez pour l’instant rester discrète) aux volcans qui sont entrés en éruption en Europe continentale, depuis l’invention de la photographie : le Vésuve, l’Etna et le Stromboli.
Dans ce projet, j’étudie la relation entre la fumée, les étincelles et la vapeur, au travers de photographies que j’ai prises à l’intérieur et autour de cratères. À Stromboli, les habitants parlent de “la voix du volcan”. C’est exactement ce que j’ai voulu retransmettre en établissant des lectures sismiques et sonores de leur langage.
Quelles expériences volcaniques rendez-vous compte dans ce projet ?
Les volcans représentent à la fois l’origine du monde et la destruction de celui-ci. De façon plus personnelle, ils ont un lien avec le temps de congélation. Celui d’un gel physique du temps conservé dans les cendres, comme à Pompéi. Mais aussi la façon dont, lorsqu’une éruption majeure se produit, comme j’ai pu le vivre à Stromboli cette année, le temps se fige autour de nous. Quand une telle explosion se produit, le son résonne et tout le monde regarde, silencieusement, le ciel noir de cendres pour décider de la réaction à adopter. Dans cette expérience du sublime, on devient intensément conscient de notre infime présence dans le paysage et plus largement, dans l’histoire de la Terre.
Vos récits sont volcaniques et sismiques. De quelles façons réussissez-vous à raconter l’histoire de terres insaisissables, fugaces et hautement destructrices ?
Dans mes deux projets, l’insaisissable est lié au temps et aux origines. La photographie et la géologie sont, pour moi, les deux grandes gardiennes du temps. Elles agissent au travers de strates, qu’elles soient constituées de lumière, pour la première et de sédiments, pour la deuxième. L’intersection de ces strates constitue un endroit intéressant à regarder. Dans ces deux projets, je suis intéressée par ce que le paysage peut nous dire sur l’infini.
Le site de Sabine Mirlesse : sabinemirlesse.com
Le site de Quants Éditions : www.quants-editions.com
Sabine Mirlesse, Pietra di Luce, Quants édition, 2019
© Sabine Mirlesse