Personnifier les masques de Alice Jouan

Présenté lors de son diplôme de fin d’année à la HEAR de Strasbourg en 2021, le projet Personnifier les masques de Alice Jouan est une installation mêlant objet, performance vocale et visuelle. Son travail interroge la norme à travers la dissonance, convoque l’apparition de l’anomalie et soulève le trouble.

Pouvez-vous nous parler de votre travail en général ?
Je cherche à mêler la pratique du chercheur.euse à celle de l’artiste. Ces recherches insufflent les possibles dans le déploiement de la fabulation : regarder dans les coulisses du réel, décaler nos regards, inventer de nouveaux récits communs par l’expression de chacune de nos individualités. Dans cette démarche, je tends à désacraliser les techniques artistiques par la spontanéité, la quête du hasard et l’interaction avec les outils réalisés. C’est une façon d’éprouver son corps dans l’expérimentation plastique et ses mises en scène. La fiction ouvre le champ des narrations insolites, absurdes et intuitives : les chemins divergents sont cultivés, tout comme les formes imprévues et accidentelles.
Je viens de terminer la formation CFPI (Centre des Plasticiens Intervenants) à Strasbourg en mai 2022. Cette formation a renforcé ma quête de transformation sociale à travers l’intervention plastique.

Révélateur à poils, assemblage de matériaux recyclés/récupération : toiles, laines, fils, cartons…, 30 x 25 cm, 2021

Comment avez-vous développé votre projet Personnifier les masques ?
J’ai ressenti un besoin très fort de manipuler les tissus durant le premier confinement en mars 2020, une énergie dans les fils, dans les mains qui construisent et assemblent. J’ai troué, déchiré, brodé, cousu, les mots sont devenus des aiguilles, les pulsations des nœuds.
Ces manipulations se sont transformées en rituel quotidien, tous les jours du matin au soir, je construisais un masque avec ce qui me passait entre les doigts. Les bouts de draps, les colliers de perles, les cartons abîmés ont fini par ressembler à des visages, une incarnation, du vivant. Le vivant capturé dans les fils, j’ai eu l’impression de nouer mes pensées dans les gestes. J’ai imaginé des voix, un chant collectif, une histoire à compter,  en rassemblant l’ensemble de ces visages.

Comment interviennent les différents médiums dans votre pratique et comment choisissez-vous de développer telle ou telle pratique ?
C’est très intuitif, les objets abîmés, brisés, attirent mes doigts.
J’utilise beaucoup de matériaux recyclés, je les assemble pour construire des objets symboliques. Dans ce processus d’assemblage, les objets paraissent alors s’animer et deviennent « magiques ». J’invente leurs récits, je leur prête des voix, je cherche leurs dissonances et chacune de leurs singularités. C’est dans leurs incarnations, que le trouble se cultive, le corps et les sens s’actionnent. J’investis également les mises en scène, pour matérialiser les récits. Je joue de l’ambiguïté dans l’usage de la parure qui révèle et dissimule à la fois. J’ai réalisé des photomontages à partir de ces masques. J’ai retrouvé  ces photos dans les vieux albums de ma grand-mère. J’ai transformé le réel en figeant le trouble dans l’image, qu’est ce qui se révèle, qu’est ce qui se cache ?

Quelle serait votre définition de la parade ?
Dans la parade, il y a quelque chose de l’ordre du chaos, un renversement du monde, collectif et puissant. Je ressens des vibrations, partout. J’écoute les voix qui se confrontent, s’emmêlent et pulsent. J’habille les corps de paillettes, volantes et flottantes par-dessus les corps qui dansent. Le cortège de nos expressions, libres, transgressives, fortes et unies.

Compteuse royale, assemblage de matériaux recyclés/récupération : cuir, tissus, cartons, toiles, sequins…, 25 x 25 cm, 2021
Songeur nocturne, assemblage de matériaux recyclés/récupération : bois, tissus, toiles, fils, perles…20 x 15 cm, 2021

 

Texte diffusé dans l’espace auprès d’une scénographie particulière, de grands posters des masques en noir et blanc flottaient dans l’espace, disposés en ronde.

Alice Juan insta: @alice_jouan

Images © Alice Jouan