Les fleurs de Tristan Buckland dans la maladie et la mort

Après avoir perdu sa maman en 2019, Tristan Buckland lui rend hommage dans son livre d’images auto-édité Fragments sorti, en mars 2021, à 150 exemplaires. Pendant deux années, il endosse le rôle de soignant et accompagne sa mère dans la maladie. Le photographe anglais voit dans sa caméra et ses pellicules un support vital pour échapper au climat douloureux de sa vie personnelle. De l’automne 2017 à l’été 2019, il recense alors des fragments de vie. Depuis la chambre de sa mère, sous l’ombre d’un arbre ou dans les rues de sa ville natale, Bath, il documente l’existence paisible des inconnus, la nature au fil des saisons et plus subtilement, son jardin intérieur qui ne tient qu’à un fil. “Honnête, brut et minimaliste” voilà comment le designer graphique de formation décrit Fragments. Avec ses images argentiques non-éditées, il donne à voir un voyage fleuri : celui aux côtés de sa mère, contre la maladie, puis seul, dans le deuil.

Vous avez conçu la série Fragments alors que vous preniez soin, à plein temps, de votre mère.
Ma chère maman a été diagnostiquée d’une maladie neurodégénérative des motoneurones en 2017, lors de ma dernière année au London College of Communication. Alors que j’aurais dû être diplômé et faire mes premiers pas professionnels, j’ai mis tout de côté. Prendre soin de ma mère était mon seul but dans la vie. En parallèle, le besoin de créer s’est manifesté comme une faim intense. La photographie était là pour moi plus que tout autre médium. En tant que soignant, mes moments personnels étaient rares. Dans le peu de temps dont je disposais, j’errais avec mon appareil photo. C’est à ce moment-là que la graine de Fragments a été plantée. L’idée d’un livre est née après le décès de ma mère. Un jour, en parcourant les archives de ces deux dernières années, j’ai sélectionné les photographies de cette époque qui me parlaient le plus. J’ai soigneusement organisé une chronologie visuelle des fragments de ma vie. J’ai alors réalisé que j’avais un livre devant moi.

Comment la photographie vous a-t-elle aidé à faire face à la maladie puis au deuil ?
La photographie m’a soutenu dans la période la plus difficile de ma vie. Elle était une évasion à la fois de ma situation à la maison et de mon état mental. Errer avec ma caméra m’a offert une petite part de liberté, où je n’étais pas défini par ma vie familiale. Je flottais librement parmi les étrangers, me sentant presque invisible à leurs yeux. Malgré l’arrêt de mon monde, j’ai gagné en réconfort et en assurance en réalisant que le monde des autres, lui, continuait. Fragments englobe les horreurs et les ennuis de cette période de ma vie. La création de ces images m’a offert l’opportunité de réfléchir à distance sous un jour plus positif.

Pourquoi les fragments de votre vie se déroulent majoritairement en extérieur ?
Fragments est principalement composé de photographies du monde extérieur qui établissent des parallèles avec mon monde intérieur. J’ai capturé des images en extérieur parce que je voulais échapper à ma vie à la maison. Je remarquais les liens entre les différents cycles de vie ; ceux d’une plante, d’une fleur, des saisons qui suivent de près le cycle de la vie humaine. Réaliser cela et l’accepter a joué un rôle dans la création de ces images et dans ma façon de faire face à la situation. Les six dernières photos sont les seules prises de vue directes de ma mère. Par conséquent, ce sont aussi les seules photographies en noir et blanc du livre. Elles montrent les effets de la maladie et son sourire à travers la douleur.

Derrière l’apparente quiétude du quotidien des inconnus présents sur vos photos, il y a aussi un équilibre fragile qui semble pouvoir être perturbé à tout moment. Est-ce le poids de votre état émotionnel qui se reflète, indirectement, dans les images elles-mêmes?
Lorsque j’entends cette remarque, cela me rappelle que c’est exactement ce que je ressentais à la maison. La vie de ma mère était dans un équilibre fragile constant, les médecins ne savaient pas combien de temps nous avions. Nous vivions dans cet état qui pouvait être perturbé ou détruit à tout moment. La gravité de notre situation et mes émotions se sont infiltrées dans mon regard et mon travail.

Symboliquement, les fleurs sont à la fois présentes dans la maladie et dans le deuil. Elles occupent une place clé indéniable dans Fragments.
Les fleurs étaient en abondance pour nous, à la fois tout au long de la maladie et dans le deuil de ma mère. Elles sont d’une importance prépondérante dans Fragments, en particulier la photographie couleur finale du livre qui rappelle la dernière fois que j’ai vu ma mère. Les fleurs sont délicates et colorées. Leur durée de vie limitée ne fait qu’ajouter à leur rareté et leur beauté. Leur force est qu’elles peuvent apporter ce pouvoir à l’image. De plus, les fleurs ont désormais une signification différente pour moi, en particulier dans ma maison à Bath. Elles sont un beau rappel d’elle, représentant symboliquement sa vie et notre relation. Je crois que cela aura un impact sur mon travail à venir également…

Bath Life
Between Bars
D20 Espanya
Botanical Gardens
Botanical Gardens
Dualism
Emerging Worlds
Escalator
Flaneur & I
For Now I Walk Alone
Kaleidoscopic Eyes
The Observer
Lampost & Postbox
Millenium Woods
North passage
Open Town House Window
Orchids
Pertaining To Life
Pulteney
Send Lover
September
Shorter of breath
Smoke Tree
Sunflowers & Pumkins
The Curve
The Final Goodbye
The Hurting

Le site de Tristan Buckland: www.tristanbuckland.com
© Tristan Buckland