Ioanna Sakellaraki photographie les dernières pleureuses grecques

Dans sa série The Truth is in the Soil, la photographe grecque installée à Londres, Ioanna Sakellaraki, explore la pratique du deuil, à l’échelle individuelle, la sienne et communautaire, celle de la Grèce. Diplômée en photographie au Royal College of Art, sa série revient sur la dernière communauté des pleureuses traditionnelles grecques. Engagées pour feindre le chagrin lors des funérailles, les pleureuses ouvrent à la photographe une nouvelle manière de vivre un deuil personnel par la captation d’images.

Diplômée en journalisme et en études urbaines et culturelles, vous vous décidez à étudier la photographie. Comment décririez-vous le lien que vous avez tissé avec celle-ci ?
Ma pratique photographique se construit autour de la mémoire et de la perte. Les idées qui me viennent sont liées à ma Grèce natale, qui a une aura archétypale et une importance personnelle ambiguë. La photographie est, pour moi, un lent voyage.

Comment votre héritage culturel grec vous a influencé et vous a amené à produire cette série d’images, sortie en 2019, The Truth is in the Soil ?
Il y a quatre ans, mon père est mort. Je suis alors rentrée en Grèce où j’ai témoigné des rituels funéraires grecs traditionnels. Soucieuse de mieux comprendre mes racines, cette série cherche à mettre en images le travail du deuil en contextualisant nos régimes modernes de regard, de lecture et de sentiment quant au sujet de la mort dans la Grèce contemporaine. J’ai été inspirée à la fois par les origines des pratiques de lamentation de la Grèce antique et par les communautés traditionnelles des dernières pleureuses professionnelles, habitant dans la même ville que moi, c’est-à-dire dans la péninsule de Mani. The Truth is in the Soil est avant tout une recherche personnelle et identitaire, motivée par le deuil impossible de mon père. Ce corpus d’œuvres questionne la fabrication du deuil dans ma famille, mais aussi dans ma culture. La série a été soutenue par le prix de bourse d’études supérieures de la Royal Photographic Society que j’ai reçu en 2018.

À quoi ressemblent la mort et les défunts, entités qui plânent dans votre série d’images ?
Faire un travail sur le deuil a nécessité un voyage à travers la mémoire, mais aussi la perte de mémoire. Dans The Truth is in the Soil, je parle de ce qui est perdu ; des parties de la mémoire qui sont reconstruites de toutes pièces, dont celles de l’être disparu. Ces images disent quelque chose de plus que les pleureuses que je photographie. Elles créent un nul part qui est ici. Un espace où la mort peut exister.

Pourquoi la mort est une thématique intrinsèquement liée à votre activité de photographe ?
Dans mon travail, j’aborde la mort comme une énigme culturelle, avec des interprétations à la fois subjectives et objectives. J’utilise mes images comme des passages pour abriter la mort et établir, avec elle, une relation de liberté. Les symboles deviennent mes points de départ ; ce qui nous est inconnu, mais pas complètement étranger. Je parle de la mort comme d’une force rongeant le visible. Je suis toujours perplexe sur la façon dont la photographie, en tant que médium, remplace l’absence par une présence imaginaire et comment les images ont le pouvoir de faire apparaître les choses. Je vois l’image comme un format à travers lequel tout passe, un espace où le temps cherche à se libérer. Je cherche à développer un langage de pensée du même ordre que la fiction.

Le site d’Ioanna Sakellaraki : ioannasakellaraki.com
© Ioanna Sakellaraki, The truth is in the soil