L’univers chimérique de Corentin Grossmann

Pour l’artiste français Corentin Grossmann, dessiner permet d’aborder le réel en y ajoutant une touche d’imaginaire et en laissant le hasard faire les choses. Après une enfance bercée d’histoires et de dessins, il intègre les Beaux-Arts de Metz. Inspiré de la nature dans laquelle il grandit, comme de l’imagerie des premiers jeux vidéo auxquels il a accès dans l’enfance, il élabore une œuvre riche en formes et en couleurs qui évoque autant l’univers de peintres primitifs flamands que des surréalistes.

Comment en êtes-vous venu au dessin ? Quel est votre parcours artistique ?
Comme beaucoup d’enfants, j’ai aimé dessiner. Quelques signes encourageants m’ont amené à développer la pratique. J’ai finalement fait un cursus universitaire en arts puis suis rentré par équivalence aux Beaux-Arts de Metz. Une chose est certaine : j’ai toujours été habité de mélodies et d’images que je faisais défiler dans ma tête d’enfant avant de m’endormir.

Quels sont vos outils de prédilection ? Vos étapes de travail ?
Mes outils favoris sont certainement les crayons, les porte-mines qui conservent leur précision sans avoir à être taillés, les gommes. Vient ensuite l’aérographe. Le choix du papier (de son grain) est tout aussi important. Ces outils me permettent de développer toutes sortes de textures qui sont essentielles à mon esthétique. Ce que ma mémoire retient, ce sont les matières, les roches, les odeurs, les lumières… Dessiner revient pour moi à rendre ce que j’ai emmagasiné. Il n’y a pas vraiment un processus de travail établi ; ou s’il y en a un, c’est de laisser la possibilité au hasard et à l’inconscient de s’immiscer dans le travail et ce, à n’importe quelle étape. Mes dessins peuvent sembler construits au préalable alors que je ne fais généralement aucun croquis ni tracés. Je n’ai pas d’idée précise non plus, cela peut simplement commencer par un fond coloré ou l’ébauche d’un espace. Souvent je crée des surfaces en crayonnant et laisse le temps de voir les formes venir. Je dessine debout, me rapproche et m’éloigne des dizaines de fois par session. Là, dans le fourmillement de la surface, le grain ou les vibrations colorées, je vois des personnages, des plantes ou des minéraux apparaître. Je crois avoir développé, à la manière de certains surréalistes, une écriture qui permet au hasard et à l’inconscient de s’engouffrer par des brèches que j’aménage. C’est assez paradoxal d’alterner entre des phases de contrôle et d’abandon, comme si la technique autorisait le relâchement mais cela me permet finalement de me laisser dépasser par mon œuvre. Et c’est probablement ce qui est le plus important à mes yeux.

Vous semblez doté d’une imagination débordante… Où puisez-vous votre inspiration pour composer de telles œuvres ?
Mes sources d’inspiration sont très diverses, voire hétéroclites, mais je ne les perçois pas comme telles, tant les capacités de notre esprit à l’assimilation et l’intégration sont fortes. Né en 1980, j’ai joué aux premiers jeux sur écran venus de l’extrême orient et été fasciné par l’avenir prometteur que nous laissait imaginer le progrès scientifique. On m’a permis de grandir en contact avec la nature, les animaux etc… Ma famille m’a sûrement transmis diverses composantes décelables dans l’ensemble de mon travail. Un grand-père pasteur, une grand-mère qui écrivait des poèmes, des tantes musiciennes, un grand oncle curé, des professeurs, des pédagogues et mes parents à France télécom…L’actualité me stimule également beaucoup (la sexualité, les questions écologiques, la musique…). Avec le temps, il existe une forme d’inertie dans l’imaginaire, un dessin en appelle un autre mais surtout il y a des redondances qui structurent mon œuvre et mes envies. Par exemple, Corn a d’abord été un dessin au graphite réalisé vers 2010, puis une céramique (Corn II) puis un petit format (Corn III). A chaque occurrence du motif du maïs, je développe une signification ou un réseau de significations différentes. Il en va de même pour les papillons, les oiseaux en couple, les maisons, les édifices religieux… Cela me permet notamment d’appuyer la dimension polysémique d’un motif en fonction de son contexte mais aussi de connecter mes dessins et de les faire travailler ensemble, au-delà des périodes. À force, j’ai l’impression de développer une mythologie parallèle. Je trouve mon plaisir dans la proposition d’images alternatives, en cherchant des versions inédites de ce que l’on connaît.

Vous avez par la suite développé une pratique de la céramique, comment expliquez-vous ce glissement d’une pratique à une autre ? Et comment les deux se nourrissent-elles l’une l’autre ? 
Mon intérêt pour la céramique a d’abord répondu à un besoin quasi physiologique de diversifier mes gestes. Autrement dit, le dessin tel que je le pratique, s’il est un acte passionnel, n’en est pas moins usant par la répétitivité des gestes et la tension qu’il induit au niveau du regard, du bras droit, des mains… La céramique me rééquilibre et remplace la nervosité par la fluidité. Le désir de volume est évident dans mes dessins tant je suis obsédé par le modelé, l’ombrage des formes, les perspectives. J’ai aussi eu une fascination pour la 3D alors émergente dans les jeux comme dans les films alors que j’étais adolescent. Cependant quand j’ai débuté en céramique, vers 2013, j’ai eu l’impression de recommencer quelque chose. On ne modèle pas comme on dessine et si j’étais rapidement à l’aise avec les techniques de modelage, la terre a son propre comportement avec lequel il faut composer. Je suis toujours mon intuition et je vois, comme pour le dessin, ce qu’il en sort sans forcer. Je me suis vite retrouvé à faire des créatures animales, des têtes humaines avec une dimension assez primitive. Il y a une sorte de facilité à donner vie à la terre. De la terre jaillissent des créatures surnaturelles des divinités, des gri-gris, des fétiches… Comme avec le dessin j’ai l’impression de faire apparaître, plus que d’inventer.

Quels sont vos projets à venir ?
J’achève juste une œuvre à la fondation Carmignac sur l’île de Porquerolles pour l’exposition L’île intérieure dont le commissariat est assuré par Jean-Marie Gallais. Je vais maintenant me consacrer à ma prochaine exposition solo parisienne à la galerie Art : Concept.

Web: www.galerieartconcept.com
Instagram: @corentingrossmann
© Corentin Grossmann