L'ordinaire et le surréalisme de Stefania Orfanidou
Quel est votre parcours, comment êtes-vous arrivée à la photographie ?
Je suis née dans une petite ville côtière, Kavala, dans le nord de la Grèce. J’ai étudié l’architecture à Thessalonique, déviant de mon orientation de devenir archéologue dans laquelle j’ai insisté pendant toutes mes années d’enfance. Ma passion pour la photographie est née à Madrid en 2011, pendant mes études Erasmus à l’École des beaux-arts. La scène artistique prolifique de la ville à l’époque, combinée au temps libre que l’on m’offrait pour marcher et explorer, a été le ferment de mes premiers pas dans la photographie contemporaine. Depuis lors, c’est un voyage d’apprentissage, de dépassement des limites personnelles, d’amplification de ma perception de l’art, de découverte de mes propres routes et racines – multiples -, d’expression de pensées que je ne peux écrire ou dire d’aucune autre manière.
Quelle est la genèse de votre projet photographique Profanation Exercise ?
Depuis des années, j’ai cette habitude de collecter des titres et des phrases, de prendre des notes dans la littérature, dans des essais, des poèmes, des rêves que je vois et des dialogues que j’enregistre pendant que je marche. La raison pour laquelle je fais cela est ambiguë. C’est peut-être pour sauver quelque chose qui m’a semblé étrange ou drôle et que je vais oublier le lendemain ou l’heure suivante. Peut-être est-ce par pur plaisir. Avec le temps, j’ai créé un réservoir d’archives textuelles d’où j’extrais les mots ou les phrases. En général, je combine ces textes avec un travail photographique existant. Dans le cas de Profanation Exercises, la procédure a été inversée. À un moment donné, je suis tombé sur la phrase Bait for Dragons et j’ai pensé que c’était un très bon titre pour une nouvelle série. Il m’a donc conduit au contenu. Tous les sous-titres suivants m’ont guidée dans mon processus de prise de vue et d’édition. Outre les archives textuelles, je conserve également des archives photographiques avec toutes les photos rejetées. C’est ainsi que le premier chapitre a commencé à prendre forme, puis le suivant : Salty Eyebrow (sourcils salés). Jusqu’à présent, il y en a cinq. L’idée est de créer de petits récits, flexibles, où je peux jouer et expérimenter.
Comment transformez-vous l’ordinaire en quelque chose d’inhabituel par le biais de la photographie ?
En marchant, je me vide de mes pensées et j’essaie de me concentrer sur les gestes d’attention, les détails du paysage urbain, les interventions humaines dans des endroits inattendus, etc. L’ordinaire et le trivial m’attirent. Mais en même temps, il y a des images que je capte, dont j’extrais des connotations multiples, et j’en vois l’étrangeté. Le processus de séquençage peut renforcer ce sentiment et créer une impression de surréalisme. Le familier devient inquiétant. D’une certaine manière, je perçois ce projet, Profanation Exercises, presque comme une approche dadaïste, comme un cadavre exquis construit par différents esprits et différentes couches.
Quelle est votre relation personnelle avec la mythologie ?
J’ai grandi en étant intriguée par les mythologies grecque et égyptienne, ainsi que par les contes d’Ésope. La mythologie est devenue la révélation d’un secret hermétique qui attend patiemment, comme un bourgeon qui s’épanouit. Au cœur de tous les mythes, il y a la naissance de la vie. Pour moi, donner naissance à une nouvelle œuvre a toujours été une sorte de révélation qui me remplit d’excitation. En même temps, cela soulève des questions sur le but de sa création. Je vois également dans les mythes l’absence de temps. Toutes les figures mythologiques sont placées dans une réalité intemporelle, au-delà de toute reconnaissance. De la même manière, tous mes récits tendent à être intemporels. Comme des fragments d’une conversation mythologique, l’extraordinaire représenté dans les photographies conduit à la dissolution d’une illusion. Il est finalement transformé en extraordinaire. Pour révéler à nouveau l’ordinaire, comme si nous suivions inlassablement une route circulaire, avec la seule intention de sauver de l’oubli un événement mnémotechnique. Et si la seule chose que nous cherchions à travers les multiples versions des mêmes mythes, c’était nos racines…
Quels sont, selon vous, les mythes d’aujourd’hui ?
La narration d’un mythe est inextricablement liée à la mémoire historique. Les mythes sont les gardiens d’un secret qui cherche généralement à rester caché. Les mythes du passé ont révélé les histoires de dieux, de demi-dieux et d’êtres humains. La rivalité, la jalousie, la discorde, l’amour et la trahison étaient les éléments dominants de ces histoires. Pourtant, derrière la passion et la haine, il y avait toujours une morale. Chaque expérience métaphysique se reflétait dans la vie réelle. Aujourd’hui, les mythes contemporains racontent des événements ordinaires ou surnaturels de notre passé récent. Ils conservent également des informations cachées. Ils le font de manière elliptique et fragmentaire. Ils cherchent à faire bouger les choses, à poser des questions, à donner accès à de nouvelles interprétations. La création de nouveaux mythes vient aujourd’hui en contrepoint de la version officielle de l’histoire. Elle implique le soupçon d’une vérité qui attend patiemment de remonter à la surface. De la même manière, mes images enquêtent sur l’existence d’une vérité et tentent de changer la perception d’un événement fictif ou réel déjà existant.
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© Stefania Orfanidou