Les paysages intérieurs de Marynn Letemplier
Pluridisciplinaire, l’artiste Marynn Letemplier s’attache autant à retranscrire des émotions quotidiennes que des motifs hérités du passé comme la calligraphie ou les vanités. Qu’elle dessine, peigne, sculpte, écrive ou tatoue, son art brave les frontières des médiums pour laisser s’exprimer les impulsions qui lui viennent au gré des pérégrinations. En développant une véritable mythologie et iconographie personnelle, elle traduit à travers ses œuvres un regard sensible sur le monde qui s’arrête sur chaque détail de son existence.
Comment en es-tu venue au dessin ? Quel est ton parcours artistique ?
La contemplation a toujours été ma planète préférée, surtout enfant. Je pense qu’on dessine juste en regardant. On rencontre un paysage comme on rencontre une personne, un regard, des questions – puis viennent les détails qui font la particularité et le singulier du sujet. De ce fait le dessin a toujours été comme une personne assise à mes côtés qui allait et venait et à un moment vers mes 20 ans a été omniprésente. Je l’ai utilisé comme un exutoire, j’avais beaucoup de choses à sortir à l’époque. On a commencé à me connaître à travers des portraits de femmes, beaucoup de visages et de phrases. C’étaient des statuquos émotionnels. Et puis quelques années plus tard, j’ai fait une pause. La mélancolie eut été mon cheval de bataille ces années-là. J’ai senti le besoin de trouver un sens plus harmonieux et pour mon art et pour moi. Puis j’ai lu Agnès Varda qui disait « Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages ». J’ai regardé, j’ai écrit et j’ai mis un miroir devant comme pour dire « et toi, y’a quoi dans ton paysage ? ». Cette question rythme quotidiennement mes pensées et c’est à ce tournant que j’ai commencé à faire ma « librairie de symboles » comme j’aime à l’appeler. Fabriquer mes paysages, leurs mythologies, mettre en image des émotions dans cet univers.
Quels sont tes outils de prédilection ? Tes étapes de travail ?
J’ai souvent des idées quand je marche, c’est comme si un vinyle se mettait en route et je le laissais défiler. Parfois je n’ai pas la finalité et je les range dans un tiroir, souvent je les oublie et elles ressortent plus tard. J’aime exprimer mes idées avec plusieurs techniques, car chaque technique a sa richesse et ensemble, elles sont des vases communicants. Un chemin que j’aime beaucoup est lorsque je me balade sur la plage, je trouve un caillou, je le sculpte en oreille, petite ou grande en fonction de ce que je ressens et les aspérités du caillou parlent aussi, puis je le prends en photo en cherchant une lumière qui me parle, et cette photo je la dessine, je place l’oreille dans un paysage et fait raconter une histoire au tout. Soit elle reste là, comme un momentum émotionnel. Ou ce qui arrive et que j’aime beaucoup, quelqu’un flash dessus et je lui tatoue. C’est alors qu’il se passe quelque chose de fantastique, d’une émotion première elle devient autre. Et la discussion de signification avec cette personne vient remplir mes vases d’une eau nouvelle. Et je repars marcher…
Tu développes une iconographie qui rappelle la mythologie, le sacré… Où puises-tu ton inspiration ?
Chacun a sa mythologie personnelle, et c’est fascinant. Les détails sont des histoires. La mélodie des pas dans l’escalier, les fleurs du jardin, la première terreur… J’essaye de dessiner pour immortaliser, je crois que c’est ça.
On retrouve aussi beaucoup la thématique du fragment dans tes œuvres. Quelle signification a-t-elle pour toi ?
De l’idée que nous sommes fait de fragments, on en laisse, on en perd, on en disperse, on en offre, on en trouve et on se compose avec. Le parfum d’un inconnu dans la rue qui me fait me retourner est un fragment. Le petit vieux qui chante ne pensant être entendu en bas de ma rue, est un fragment. Un livre pris au hasard qu’on ouvre au hasard et qui vous dit « J’entends par intelligence ce qui sors du cœur tout droit. » boum, ça résonne. C’est du Christian Bobin c’était sûr. Je garde ce fragment. Je vois l’humain comme une collection de choses, il a son visage oui, et la forme de ses mains et la façon dont il marche. Ce sont ces paysages qui me captivent.
Tu réactualises l’écriture et plus particulièrement la calligraphie dans certains de tes travaux. Quel rôle occupe-t-elle chez toi ? Dirais-tu que tu cultives une esthétique de l’« ancien » ?
En plein dans le mille ! Oui, l’art d’écrire m’a toujours émue. Les lettres de mes grands-parents avec cette calligraphie sublime pour des courriers administratifs. Ce « A » tracé avec une telle élégance ! Prendre le temps d’écrire, pour prendre le temps de penser. Au destinataire, à l’histoire, au message, à cette déclaration timide cachée entre deux anecdotes, savoir si on écrit « à bientôt » ? « A très vite » ? « Je t’embrasse » ou « au revoir » ? C’est ma grand-mère qui m’a appris l’écriture gothique. Elle m’a plu instantanément, elle est belle et fière, ses pleins et déliés sont contrastés, ils ont les épaules et la douceur de porter des multitudes d’histoires. Des contes aux pierres tombales, des abécédaires brodés aux majuscules d’entrée de récits. Amoureuse de la nostalgie aimant osciller dans le clair-obscur, je l’ai mise dans ma poche.
Du dessin au tatouage, puis à la sculpture, comment expliques-tu ces glissements vers d’autres façons de mettre en forme tes idées ?
Parfois j’adorerais l’idée de m’habiller tout en noir, ou tout en bleu tout le temps et de mettre des mêmes chaussures. Ça rendrait parfois le quotidien plus simple en enlevant une réflexion matinale. Je n’y arrive pas et pourtant j’ai essayé pour voir. Faire des nouvelles choses et essayer des trucs m’anime. Et dans cette logique de vases communicants, lorsque je sculpte je dessine autrement, et quand je dessine avec un nouvel œil ma façon de tatouer change. Un joli cercle vertueux.
Des projets à venir ?
Je vais voyager grâce au tatouage, j’ai hâte de rencontrer de nouvelles choses. Je dessine beaucoup dans mes carnets en ce moment, je vais revenir à la peinture je pense. Et j’aimerais bien avoir une belle bibliothèque de mes sculptures de cailloux. La ferveur du collectionneur. Je pense aussi à un solo show, j’attends de voir quand…
Web: www.marynn.com
Instagram: @marynn_letemplier
© Marynn Letemplier