Explorer la représentation de soi aux États-Unis par Manon Boyer

À travers sa série Parade (2017), la photographe française Manon Boyer interroge la représentation de soi et l’artifice portés à leur paroxysme, notamment dans la culture visuelle américaine. Chacun des clichés célèbre ces notions constitutives d’une société dans laquelle l’image, et le reflet de soi en particulier, occupent une place grandissante.

Parade, 2017

Peux-tu me parler de ton parcours ?
Au plus loin que je me souvienne j’ai toujours fait de la photo, j’ai souvent été « la fille avec un appareil », au début c’était pour le fun et c’est après le lycée que j’y ai pensé plus sérieusement. J’ai fait une prépa et j’ai découvert l’argentique, ça a été une révélation qui a définitivement hissé la photo au rang de médium indispensable pour moi. Puis je suis entrée aux Beaux-Arts, initialement pour le dessin, mais je me suis très vite spécialisée en photographie, et après 3 ans j’ai obtenu mon DNAP, un diplôme entièrement spécialisé en photo. Je suis ensuite partie assister un photographe à Londres où j’ai réalisé mon premier projet à l’étranger, Reborns Babies. En rentrant, j’ai intégré l’ENSP (Arles) grâce à cette série et j’ai obtenu un master en recherche et création. Après les études, j’ai beaucoup voyagé pour des projets personnels et commerciaux.

Comment en es-tu venue à la photographie ? Quel est ton rapport à l’image ?
J’ai essayé plusieurs médiums avant de me concentrer sur la photo. J’ai, au début, beaucoup dessiné et peint, mais ça me demandait beaucoup de concentration et d’effort. J’aimais ça mais c’était fastidieux. J’ai toujours essayé de représenter le réel et j’ai finalement compris que la photo était le médium idéal pour moi car au lieu d’essayer de recréer le réel, j’avais juste à le capturer. La photo m’a alors paru évidente comme étant le meilleur moyen de m’exprimer. Mon rapport à l’image est basé sur la rencontre, prendre des photos c’est un peu un prétexte pour moi pour découvrir un nouvel endroit, un nouvel univers ou des nouvelles personnes, j’adore les échanges que peuvent amener les images.

Comment est né le projet Parade ?
Parade représente un projet très important car il est à la fois mon projet de master à l’ENSP et le premier réalisé aux États-Unis. Ce travail, que j’ai préparé pendant un an avec une amie vidéaste, m’a fait réaliser que c’était la manière dont je voulais faire de la photo. Nous avions décidé de partir ensemble découvrir et approfondir cette société de l’image qui domine les États-Unis. Parade est donc né de mon intérêt pour la représentation de soi. Je voulais trouver un endroit où cette notion était prédominante et c’est ce qui m’a amené aux États-Unis puisque la culture américaine, qui est une culture de l’image, est alors complètement différente de ce que l’on voit en Europe et ça m’a très vite fasciné. Mon intérêt pour la couleur et le « bling-bling » a également pesé dans la balance car je savais très bien que les États-Unis combleraient cette fascination.

Qu’est ce qui dans la représentation de soi et l’artifice t’intéresse ? Que cherches-tu à dire ou plutôt à montrer par rapport à ces phénomènes ?
Ce qui m’intéresse dans la représentation de soi, c’est d’être témoin de ces nuances et ces différences suivant qui la met en scène, c’est un terrain déclinable à infini. J’aime découvrir une multitude de personnes complètement différentes et comprendre qui elles sont.

La ligne directrice de mon travail étant « la transformation du corps », j’essaye alors de comprendre comment les gens décident de se présenter et comment ils façonnent leur corps et leur image en suivant cette idée. J’étais alors complètement fasciné par la culture visuelle américaine et c’était pour moi une évidence d’aller là-bas pour comprendre ce rapport au corps et sa représentation si différente de la culture européenne. L’artifice, lui, va guider et attirer mon regard sur une certaine personne ou communauté.

Avec Parade, il était important pour moi de traiter le corps et son ornement au même niveau pour créer une perte de repères dans la représentation. Aux États-Unis, beaucoup de gens s’effacent au détriment de l’image qu’ils essayent de créer, et finalement l’artifice qui n’était qu’un accessoire de cette quête identitaire, prend le pas sur leur identité et devient la seule chose que l’on voit. C’est donc cette apparence qui, au fur à mesure des transformations subies, peut être vue comme une surface. Dans ce sens, Parade a pour finalité́ de déconstruire cette limite entre corps et artifice.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Je pense que ma plus grande source d’inspiration est évidemment le voyage, c’est tellement stimulant de parcourir le monde et de découvrir de nouvelles choses tous les jours. Il y a ensuite des personnes comme Lauren Greenfield, une artiste incroyable que j’ai découvert lors d’une exposition à Los Angeles pendant mon voyage pour Parade. J’ai été directement subjugué par ses réalisations photos et vidéos, un travail extrêmement profond est complet sur une société américaine vue de l’intérieur. Je suis aussi beaucoup inspirée par de grands photographes de rue qui ont une utilisation des couleurs incroyable comme Martin Parr ou Garry Winogrand. J’ai toujours l’impression de voyager un peu quand je me plonge dans des clichés autour du monde. Dans un autre registre, Boo Ritson ou Marie-Lou Desmeules sont des artistes qui façonnent elles-mêmes leurs personnages à l’aide d’artifice pour leur donner la représentation qu’elles en veulent. Elles détournent alors les stéréotypes de la société américaine en peignant à même les corps de leurs modèles. Des images extrêmement bien faites qui transpirent de couleurs et à travers lesquelles résonnent d’un message fort.

Parade, 2017
Parade, 2017
Parade, 2017
Parade, 2017
Parade, 2017
Parade, 2017

Web: boyermanon.com
Instagram: @manonartphoto
© Manon Boyer