Dans les scénographies florales de Marianne Guedin : éphémérité et sensorialité
Marianne Guedin joue avec les possibles des fleurs fraîches dans des scénographies végétales où l’art de la botanique et du design se répondent. L’artiste et artisane fleuriste imagine des décors à taille humaine et conçoit, le temps d’un évènement, des compositions de fleurs surnaturelles aux textures, senteurs et couleurs éminemment sensorielles. Dans son atelier de Montmartre, à Paris, elle recherche, expérimente et crée.
Vous avez été élève des Arts Décoratifs de Paris. De quels enseignements avez-vous hérité ?
J’ai passé 4 ans aux Arts Décoratifs de Paris, dans une école qui propose une formation riche et pluridisciplinaire. J’ai appris à m’adapter à chaque sujet créatif et à composer en volume, en jouant avec les couleurs et les matières, tout en cultivant une grande liberté d’expression. Parallèlement, ma formation de designer m’a permis de travailler en équipe. J’y ai aussi rencontré des amis très chers et fidèles.
À quel moment de votre pratique les fleurs ont-elles pris une telle importance ?
Je suis devenue marchande de fleurs à Montmartre lors de mes études aux Arts Déco. J’ai toujours avancé avec ces deux passions : le design et le végétal. En 2012, on m’a confié un grand décor dans le sud de la France, puis les autres projets se sont enchaînés. J’ai enfin pu composer un décor végétal, comme une installation artistique.
Votre pratique artistique donne la part belle aux scénographies végétales, notamment dans l’univers de la mode, comme le défilé Off White ou Ralph & Russo. Pourquoi la scénographie végétale se prête autant à ces univers ?
Les fleurs en quantité sont époustouflantes, leurs couleurs et leurs parfums nous touchent tous. Elles nous émeuvent. Les fleurs peuvent aussi faire passer le message d’une marque comme pour Off-White. Le créateur cherchait à représenter un symbole fort : un champ de fleurs blanches, comme un champ de coton. Ralph & Russo m’ont demandé une forêt, comme un écrin pour leurs silhouettes. J’ai alors composé un décor onirique sur 2 000 m2.
Comment pensez-vous chacun de ces projets ?
C’est toujours un travail d’équipe. Le créateur a des souhaits, des intentions et une collection à illustrer. La production monte une équipe et trouve des solutions avec nous. En composant avec les végétaux, je dois rester fidèle aux envies du créateur et à l’enveloppe budgétaire de la production, tout en faisant mon maximum pour éblouir les invités. Je me nourris de références artistiques. Pour chaque projet je monte un moodboard, comme un créateur monte sa collection. Je cherche les éléments du décor dans les livres de botanique, au marché aux fleurs, je demande des couleurs démodées, des variétés anciennes, comme un chef va cuisiner des légumes oubliés. Puis, je dessine l’installation végétale. Je réalise des échantillons dans mon atelier à Montmartre et j’anticipe au maximum pour éviter les surprises le jour J.
Avec quelles fleurs aimez-vous le plus travailler ?
Toutes les fleurs m’inspirent et j’aime étonner en les mélangeant : les fleurs sophistiquées avec les mauvaises herbes, les roses délicates avec des clématites sauvages. Je les compose pour surprendre. Selon le sujet, je propose des végétaux différents. Si on fait appel à moi, c’est aussi pour avoir des sélections hors du commun. J’aime les œillets pour leurs parfums, les chrysanthèmes pour leurs designs, les anémones pour leurs nuances infinies, les eucharis pour leurs silhouettes, le mimosa pour la lumière qu’il dégage, les feuillages sombres parce qu’ils mettent en valeur la renoncule poudrée, la feuille de ricin pour accueillir le Dahlia pompon… J’aime jouer le ton sur ton avec l’écorce de bouleau, le lichen et les lianes de tillandsia. J’aime la démesure des graminées sur une table. J’aime les feuilles de fougère d’un vert surnaturel sur un tapis de mousse…
Quelles sont les challenges auxquels vous êtes confrontée en composant avec les fleurs fraîches ?
Les scénographies végétales sont le plus souvent éphémères. Les fleurs sont vivantes et ne s’épanouissent pas au même rythme. Je dois anticiper leurs éclosions pour qu’au moment venu, elles soient toutes superbes en même temps. Avec mon équipe, nous les soignons toutes une par une, chaque tige est effeuillée, épinée, coupée ou bien pincée. Nous devons travailler vite et délicatement. Au moment de l’installation nous coordonnons tous les corps de métier. C’est une chorégraphie à mener tous ensemble.
Site web de Marianne Guedin : www.guedin.paris
© Marianne Guedin