Les vestiges d'une société rêvée par Yves Marchand et Romain Meffre

Yves Marchand et Romain Meffre sont deux photographes français qui explorent et questionnent les lieux abandonnés. À travers leurs photographies, ce sont les vestiges d’une époque et l’évolution de nos sociétés qui nous sont montrés. Leur travail sur les cours intérieures de Budapest sera exposé du 9 juin au 28 juillet 2018 à la Galerie Polka à Paris.

Interviewés dans Cercle Magazine n°6: Rêves, Yves Marchand et Romain Meffre nous racontent leur pratique et nous dévoilent une partie de leur inventaire.

Les ruines sont des édifices du XIXe et essentiellement du XXe siècle. Qu’est-ce qui motive vos choix ?
Pour donner une définition assez large de ce que l’on fait, nous nous intéressons aux édifices qui incarnent fortement l’esprit d’une époque et d’une société et nous observons leurs métamorphoses. Les édifices du XIXe et du XXe siècle reflètent assez souvent les grandes transitions qui sont encore à l’oeuvre aujourd’hui, comme notre série sur les salles de spectacles américaines, qui sont des exemples d’architectures du loisir produites à une échelle industrielle. Ces auditoriums donnaient, par le biais de leurs décors éclectiques, une forme d’auto-mise en scène séduisante de l’identité d’un pays encore jeune. À nous ensuite d’observer ces movie palaces de centre-ville, grands lieux de rassemblement, qui ont périclité à cause de la « suburbanisation », de l’arrivée massive de la télévision – bref, du loisir individualisé – et de voir parfois certaines de ces salles obscures réinventées en églises, magasins, centres commerciaux, etc. On a ainsi, à travers le prisme d’un type de lieu, toute une histoire moderne alternative de nos sociétés. C’est probablement ce qui nous fait nous intéresser à des ruines « modernes », car elles font directement écho à ce que l’on connaît.

Dans votre série sur Détroit, vous parlez des ruines comme d’un vestige du passage d’un grand empire. Avez-vous un regard nostalgique sur ces lieux ?
Effectivement nous aimons bien les édifices historicistes qui reprennent des éléments de grands courants architecturaux passés, néo-gothique, néo-classique, etc. avec l’utilisation fréquente des représentations symboliques de la nature et des grands mythes qui traversent les époques. Tout ceci devient une représentation tangible symbolique et parfois même exagérée du passage du temps, du pouvoir créatif des hommes, du cycle des empires et l’on trouve ça plus émouvant qu’une architecture mathématique et vectorielle. En ce sens, il y a sûrement un peu de nostalgie et une recherche d’exotisme dans une architecture qui incarnait une forme d’insouciance, ou l’idée même de temps libre, de loisir, comme c’est le cas pour les salles de bal et autres salles de spectacle. Cependant, le fait même que ces édifices soient en ruines constitue une critique en soi, il y a toujours une interrogation derrière, un mystère qui plane. La nostalgie pure serait selon nous la remise à neuf de ces lieux, en ignorant justement les traces de l’abandon et du temps.

Ces lieux sont le symbole d’un rêve dans son accomplissement qui a chu. Ils semblent dire que la fête est finie. Mais ils sont aussi vecteurs de beaucoup d’imagination. En cela, restent-ils des lieux de rêve ?
Bien sûr, les ruines excitent terriblement l’imagination. Elles restent pour certains des lieux de flâneries romantiques modernes comme les touristes du XVIIIe siècle pouvaient aller visiter les ruines de Rome. Dans notre espace urbain qui tend à être de plus en plus contrôlé, les ruines et les friches représentent les dernières parts du hasard. Ce sont des fragments arrachés au cours normalisé de la ville, les ruines deviennent presque une échappatoire, une pause, un espace de retraite et dans le même temps une potentialité de reconquête.

L’ensemble de l’interview est à lire dans Cercle Magazine n°6: Rêves.

Generator Room, Port Richmond Power Station, Philadelphia, PA, USA, 2006
Control Room, Kelenfold Power Station, Budapest, Hungary, 2012
Locker-Room,-Hugo-Mine,-Gelsenkirchen,-Germany,-2009
Ballroom, Lee Plaza Hotel, Detroit, 2006
Alhambra Theater, San-Francisco, CA, 2013

Rivoli Theater, Berkeley, CA, 2013

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www.marchandmeffre.com
© Yves Marchand et Romain Meffre