Les voyages noirs de Frédérick Carnet
Frédérick Carnet est un photographe français né en 1972. Autodidacte, l’artiste se spécialise très rapidement dans la photo noir et blanc auprès du laboratoire de Toros Aladjadjian et commence à entreprendre de fascinantes séries personnelles. Après avoir travaillé pour la photographie de presse et publicitaire, il s’oriente plus librement vers le développement de ses projets personnels. C’est suite à un voyage au Japon qu’il affine son regard et produit une première étude photographique de la nature.
Un livre, Nippon 2011, sera produit notamment à partir de clichés pris dans les zones sinistrées par le tsunami et le tremblement de terre. Le photographe a également parcouru la préfecture boisée de Fukushima, compteur Geiger en main, pour rendre compte de la beauté de cette nature japonaise empoisonnée.
Avec un véritable talent pour le portrait et le paysage, Frédérick Carnet voyage régulièrement pour ramener des images pleines de sous-entendus et chargées, presque à chaque fois, d’une atmosphère étrange. En collaboration avec Léo Tamaki, il met en place la série Budoka no Kokoro, consacrée aux derniers grands maîtres de Budo, art martial ancestral et lance une levée de fond pour produire un livre sur la série.
Distingué par le Prix Kodak de la Critique Photographique et le prix HSBC, Frédérick Carnet expose régulièrement ses travaux à Paris, Londres ou dans le reste de l’Europe.
Frédérick a répondu à quelques questions sur son travail, pour expliquer ses liens avec la nature et les paysages, et pourquoi la photographie reste, pour lui, un merveilleux moyen d’expression.
Quel rapport entretenez-vous avec la nature?
Après avoir passé de longues années en milieu urbain, j’ai quitté Paris pour un petit village de la Sarthe car j’avais besoin de calme et de verdure. Même si je passe trop de temps devant mon ordinateur, j’aime aller me promener dans la forêt domaniale de Sillé Le Guillaume, forêt que j’adore. Et depuis de nombreuses années j’essaie d’intégrer le respect de la nature dans mon mode de vie. Ça reste compliqué surtout quand on pratique la photographie qui est un médium polluant.
Quel était votre état d’esprit quand vous avez produit les images du Japon et notamment de Fukushima?
Lors d’un premier voyage au Japon en 2008 durant lequel j’ai produit la série Budoka No Kokoro, j’ai été émerveillé par les forêts japonaises et plus globalement par la place que prenait la nature dans ce pays qu’on a trop souvent tendance à ne voir que comme une contrée ultra-moderne et ultra-urbanisée. Hors, le Japon est avant tout un pays rural magnifique qui mérite d’être découvert. Quelques mois après la catastrophe naturelle qui fût très vite suivie par l’accident nucléaire de Fukushima, je décidais de réaliser une étude photographique de la nature au Japon à travers ce qu’elle offre et reprend quand elle se manifeste violemment. Pour cela, j’ai fait près de 3000 km à vélo pendant les 3 derniers mois de l’année 2011 du nord de Hokkaido à Tottori. J’ai passé un peu plus de 15 jours dans la préfecture de Fukushima où j’ai pu voir la difficulté de vivre dans des zones contaminées par les radionucléides. Ce qui est terrible, c’est qu’on ne voit rien, on ne sent rien. Et si cette préfecture est juste magnifique, y vivre sur du long terme est maintenant dangereux. Ce qui est frappant c’est que on ne peut que s’émerveiller de la beauté de la nature à Fukushima. Mais dès lors que l’on branche son compteur Geiger, la tristesse, la colère montent vite devant ce mal invisible. J’ai le souvenir d’être tombé nez à nez avec une horde de macaques qui, perchés dans les arbres, mangeaient des kakis. J’étais complètement sous le charme de cette rencontre peu commune pour un européen comme moi, mais à la fois triste de me dire que ces animaux mangeaient des fruits contaminés que les hommes ne ramassent plus car impropres à la consommation. La vie des agriculteurs est devenue très compliquée…
Pouvez m’en dire plus sur le contexte de conception de la série “De la fragilité d’être”, est elle conçue comme une série introspective, cathartique…
Elle est née lors d’un séjour à l’hôpital, et plutôt que de me gaver de médicaments, j’ai essayé, via la photographie, de comprendre comment j’en étais arrivé là. Cette série se construit en 3 tableaux : l’hôpital, la forêt puis l’équilibre (chapitre réalisé sur l’île d’Ouessan). En réalisant ce travail, je faisais aussi évoluer ma vie vers ce que je voulais, vers ce qui devait être bon pour moi. Et ce “bon” qui me nourrit maintenant se trouve dans la nature, dans les grands espaces. J’y trouve la sérénité dont j’ai besoin et la liberté d’exister sans contrainte. En tout cas, en essayant de me débarrasser de toutes les contraintes consuméristes, urbaines etc. Finalement je pense que le fil conducteur de mon travail personnel depuis maintenant 5/6 ans est la nature. Même si photographiquement parlant je l’exprime selon les envies du moment (couleur, noir&blanc, argentique, numérique etc.)
Vous partez très bientôt en Islande, que cherchez vous à ramener de vos voyages?
Avant de vouloir ramener quoique ce soit, je vais déjà aller chercher du bien-être et de la sérénité. Le fait de partir seul pendant trois mois, de voyager à vélo, sous la tente (ce que je n’avais pas fait au Japon), sera une expérience humaine de nouveau extraordinaire. L’introspection risque d’y être intense ! Ensuite, je n’ai aucune idée de ce que je vais y trouver, y faire et en ramener en termes d’images. Je sais juste que ce nouveau travail photographique sera tourné vers la nature. Rendez-vous dans 6 mois ! Par contre en Islande il n’y a quasiment pas d’arbres et encore moins de forêts !
© Frédérick Carnet
Le site de Frédérick Carnet: www.frederickcarnet.com